Fanette, tome 6 by Aubry Suzanne

Auteur:Aubry, Suzanne [Aubry, Suzanne]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782764807422
Éditeur: Le livre de poche
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

Lorsque Berthe sonna la cloche pour le souper, Madeleine se rendit à la salle à manger et prit place sur sa chaise habituelle, puis déposa sa canne sur la chaise vide à côté d’elle. La pièce lui parut soudain immense. Pas un son ne troublait le silence, hormis le sifflement léger des lampes au gaz. Elle n’entendrait plus le rire cristallin de Marie-Rosalie ni son pas vif dans l’escalier. La voix grave et rassurante de sa sœur Emma ne résonnerait plus entre ces murs. Fanette ne serait plus là pour l’égayer ou l’encourager dans ses accès de détresse. Comme sa vie lui semblait vide et sans substance tout à coup ! Et comme ces moments partagés avec sa sœur, qui étaient pourtant associés à son accident et auraient dû lui rappeler de douloureux souvenirs, lui paraissaient maintenant doux et heureux dans le silence étouffant de la maison ! Madeleine sentit un frôlement sur sa jambe. Le museau humide de George apparut entre ses genoux. Les grands yeux marron de l’animal la regardaient, presque larmoyants. Elle lui caressa la tête.

— Ah, ma pauvre George ! Tu t’ennuies d’elles, toi aussi. On a l’air fin, toi et moi, toutes seules comme des dindes !

Un rire qui ressemblait à un sanglot monta dans sa gorge. C’est à peine si elle entendit la servante entrer dans la pièce et déposer un plat sur la table.

— Un ragoût de pattes de porc, votre plat préféré. Il faut manger, si vous voulez continuer à prendre des forces.

Après s’être efforcée d’avaler une bouchée sous l’œil vigilant de Berthe, Madeleine se rendit dans le salon. Le portrait que Clara avait peint d’elle semblait lui sourire dans la lumière tamisée d’une lampe au kérosène. Clara. En voilà une autre que je ne reverrai peut-être jamais plus. Elle détourna la tête et alla dans son bureau, comme si elle cherchait à échapper au triste cortège d’un passé révolu, et s’installa à son secrétaire. Des monceaux de papiers et de lettres s’y accumulaient. Depuis le mariage de Fanette, elle n’avait pas eu le cœur d’ouvrir son courrier. Une pile de lettres de même dimension, dans des enveloppes de chiffon de bonne qualité, occupait un coin de son pupitre. En y jetant un coup d’œil, elle reconnut l’écriture de Clara. D’un mouvement impulsif, elle saisit le paquet de lettres et, sans même les ouvrir, se pressa tant bien que mal vers l’âtre. Elle y mit le feu et resta longtemps ainsi, à regarder les enveloppes blanches se recroqueviller et noircir. Il lui semblait que c’était sa vie qui se réduisait peu à peu en cendres, et que le bonheur l’avait désertée pour toujours. Elle revint lentement vers son bureau. Les brouillons des articles que Fanette avait écrits à sa place se trouvaient sur l’écritoire. Si seulement ce maudit Arsène Gagnon n’avait pas découvert le pot aux roses ! Point final ne se serait jamais rendu compte du stratagème. Elle aurait eu le temps de se rétablir et aurait pu continuer à travailler

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